Wa Idha Aassaytom de Rochdi Belgasmi, Fragments de mémoire.

Lever le voile sur cette vie de femme maculée vivant sous le poids des traditions et des interdits semble être le principal souci du chorégraphe.Une grande foule attendait devant le Rio, mardi dernier, vers 17h00. Quelques minutes après l’ouverture des portes, la salle était comble. Le public est entré dans le noir. Rochdi Belgasmi était déjà sur scène pour la première de «Wa idha assaytom», son nouveau spectacle. Rampant, toujours dans le noir, le danseur intrigue la salle qui semble retenir son souffle. Quand les lumières s’allument, Rochdi tient sur la tête un ballot de morceaux de tissu blanc. Il se tient à proximité de deux cordes à linge qui longent l’arrière-plan. La voix de Sabah Bouzouita, sur un texte de Khadija Baccouche, donne très vite un sens aux mouvements de Rochdi Belgasmi. C’est un monologue imaginé, dévoilant les pensées secrètes de sa mère, tel qu’il s’en rappelait pendant son enfance. Lever le voile sur cette vie de femme maculée vivant sous le poids des traditions et des interdits semble être le principal souci du chorégraphe. D’où l’importance de ces morceaux de tissus qu’il commence par porter sur la tête, comme un fardeau, avant de les défaire pour en faire différents usages et de les étaler, un à un et au grand jour, sur les cordes à linge. Celles-ci tracent les frontières du monde imaginaire qu’habite sa mère, sur sa terrasse où elle s’évade, toute seule. C’est le seul endroit où elle ne l’emmenait pas avec elle et ne le partageait avec personne… Dans cette méta-danse, s’entremêlent des fragments de mémoire de l’enfance de Rochdi Belgasmi, vécue aux côtés de sa mère, avec un hommage qu’il rend à son souvenir. Un exercice non périlleux qui a nécessité de la part du chorégraphe d’aller au-delà même de la danse, dans ce qu’il appelle, d’après l’esthète Adnen Jdey, une méta-danse. «Elle exige une écriture chorégraphique qui défait la grammaire classique de la danse», décrit-il. Comment, en effet, transformer en pas de danse les soupirs profonds d’une jeune mère réduite à toutes sortes d’inhibitions. Les textes découpent la chorégraphie en tableaux. A travers la voix de Sabah Bouzouita, Rochdi Belgasmi donne à sa mère la chance de s’exposer et de s’affranchir de ses chaînes. En même temps, il fait de son corps de danseur le relais physique de cette expression. Toute la frustration ressort à travers l’exécution, avec une gestuelle répétitive, des tâches quotidiennes dont s’occupait sa mère. Des tâches synonymes de purification, voire de catharsis : dans le hammam et sur la terrasse, où elle nettoyait son corps, son âme et ses vêtements. « Wa idha assaytom », Rochdi Belgasmi le fait pour sa mère mais aussi pour lui, pour le regard de cet enfant dont il essaye de ramener la mémoire sur scène. Il est le principal témoin et locomotive de fragments d’un passé que le chorégraphe ressuscite afin de le sauver de l’oubli. Une idée que le texte de présentation du spectacle résume si bien en ces mots : «Dans ce nouveau spectacle, le chorégraphe fait appel au corps maternel, personnage dont la subjectivité est bien ancrée dans sa mémoire, en vue de retrouver un peu du temps perdu. Il s’agit, plus précisément, d’un essai de re-formulation des possibilités techniques du corps danseur, mais aussi d’une cartographie intensive des oublis, des amnésies et de ce qui, dans le paradoxe vivant de la mémoire, fait irrémédiablement défaut».

Narjès TORCHAN
04-08-2015