Une lumière qui traverse les siècles

Comment la mémoire de cette sainte peut-elle nous aider à mieux vivre, aujourd’hui ? Treize minutes pour parler d’un pôle de l’islam soufi au XIIIe siècle. Qui est Saïda El Manoubia et comment a-t-elle marqué son époque et nous marque-t-elle toujours aujourd’hui? C’est elle même qui répond, par les mots de Emna Ben Miled et la voix de Lobna Mlika, dans le court-métrage «Saïda El Manoubia et l’Islam soufi», projeté en avant-première à Ennejma Ezzahra, vendredi dernier. La première, universitaire et chercheur («Les racines bibliques du voile»), «Les tunisiennes ont-elles une histoire») en est la co-réalisatrice, avec le jeune réalisateur Samed Hajji. La deuxième y interprète le rôle de la sainte de Tunis. A ses côtés, le chorégraphe et danseur Rochdi Belgasmi incarne le saint marocain Abou Hassan Al-Chadhili (1197- 1258), dont Aïcha el Manoubia (1180-1257) était disciple et très proche, devenue responsable de sa confrérie en Tunisie. Comme dans ses écrits, Emna Ben Miled adopte un angle original dans ce film. Avec Samed Hajji, ils ont opté pour un docu-fiction où le personnage de Saida el Manoubia prend la parole, en dialecte tunisien, revendique ce qu’elle est : une femme libre et libertine, qui s’est détachée du matériel pour embrasser le spirituel, refusant de se marier, devenant fine connaisseuse du Coran et une référence de son temps. Lobna Mlika l’a incarnée en toute finesse et a su porter à l’écran la force et la fragilité de cette femme entourée par plusieurs admirateurs, dont Abou Hassan al-Chadhili. En plus des comédiens, le film montre les islamologues Neila Sellini et Youssef Seddik, qui donnent leur vision de cette sainte, de ce qui la rend si spéciale et importante à connaître, encore aujourd’hui. Tous ont été filmés au musée du Bardo, symbole des 3.000 ans de l’histoire de la Tunisie et de sa diversité culturelle. Saïda el Manoubia s’était de plus érigée contre l’uniformité et le confirmisme, nous apprend le film. Dans le débat qui a suivi la projection, Emna Ben Miled va même jusqu’à qualifier la sainte de «moderne». «Elle l’est car elle croyait à l’égalité entre tous les êtres humains», explique-t-elle. Quant à son choix de parler de ce personnage historique dans un film, il s’inscrit dans un projet qui a pour objectif de vulgariser le savoir scientifique sur l’islam moderne et de permettre au large public d’accéder à l’Histoire et à la mémoire commune. Projet auquel contribue la fondation Rosa Luxemburg Tunisie, qui a soutenu financièrement le court-métrage «Saida el Manoubia et l’islam soufi». En présence de Neïla Sellini, de Youssef Seddik et de l’historien Taoufik Bachrouch qui ont pris la parole, le film a suscité un vif débat sur l’islam, sa vision de la femme et ses rapports avec le pouvoir et la politique. Un débat qui rappelle celui des mois qui ont suivi le 14 janvier 2011 et qui nous révèle que nous n’avons pas tellement avancé sur le chemin d’un projet de société où chacun aurait sa place, dans la diversité et le respect de l’autre. Après cette avant-première, qui a accueilli son public avec une installation de l’artiste Mouna Jmal rappelant la porte du mausolée de Saïda el Manoubia avec ses couleurs rouge et vert, le film sera projeté lors des Journées cinématographiques de Carthage, qui commençent dans une semaine (21-28 novembre).

Narjès TORCHANI
15-11-2015