Une danse pour les oubliés de l’histoire

Offrir une danse aux oubliés de l’histoire, leur accorder un carré de lumière lorsque la mémoire est devenue aveugle. Tenter de faire revivre cette chair refoulée, celle de Selem Weld Elkhadhra, ce danseur-homosexuel qui faisait office de serveur dans les commerces des remparts de Tunis. C’est le travail auquel s’est attelé le chorégraphe Rochdy Belgasmi dans « Arous Weslet », spectacle de danse présenté lors de la 6ième édition de Dream City qui s’est tenu du 4 au 8 octobre à la Médina de Tunis. L’histoire à laquelle nous convie Belgasmi remonte au 18ième siècle quand fut maté une révolte populaire dans la région de Oueslat contre une imposition devenue trop lourde à supporter. Les habitants sont donc acculés à s’exiler et à s’établir aux portes de Tunis et certaines femmes d’adonnent à la prostitution comme seul gagne pain possible. « Arous Weslet » est une tentative de portrait de Selem fils d’El khadhra prostituée de la fin du 18ième siècle. Avec Souheib Oueslati, Oussama Saidi et Naim Ben Abdallah, Rochdy Belgasmi occupe la pièce centrale de Hammam «Ettamarine » de Bab Jedid -Hammam fermé depuis belle lurette et ouvert à l’occasion- et restitue durant une vingtaine de minutes un fragment de vie de Selem fils d’El khadhra, personnage marginal de Tunis de l’époque. Rochdy danse sur une frontière particulière, celle du désir frustré, du corps tourmenté, du déni social. La musique aidant, le spectacle monte en puissance pour amener le spectateur au cœur même de la vibration, là où tout s’arrête pour céder la place à la chair pour qu’elle puisse, seule, s’exprimer. Exprimer le beau, la nudité, le sensuel, le violent, le souffrant, le féminin, le masculin, le charnel et tout ce que cette chair peut enfermer en elle comme sensation de vie. Avec « Arous Weslet », Rochdy Belgasmi soulève un pan de l’épais rideau qui couvre notre mémoire. Nous est parvenu alors en vibration, l’histoire de la chair en danse. Une danse libre d’une chair brimée, interdite, refoulée mais combien révélatrice de ce qu’étaient ces oubliés de l’histoire.

Chiraz Ben M’rad
17-10-2017