Un même thème, un même lieu, «Convergences» à l’espace Agora

Le menu est fait de théâtre, de vidéo, de danse, de musique, d’une exposition de photos , et est concocté par les soins de Virginie Lurienne, enseignante à Tunis. Samedi dernier, l’espace culturel l’Agora à La Marsa a réuni, le temps d’une soirée, des artistes de différents domaines, autour d’un même thème : dé-visage(s). C’est la pièce L’indifférenciée de la Compagnie Eclat de riz qui a inauguré la soirée. Le texte et la mise en scène de Christophe Richtarch ont réuni les trois comédiens Marc Latreille-La Doux, Pierric Degorceix et Iheb Chebbi. Trois femmes se donnant la réplique, se chamaillant, se critiquant, l’une d’elles finit par s’adresser à l’audience, parlant de sa situation d’ «indifférenciée» et livrant ses craintes de ne pouvoir marquer les autres, de ne pas laisser, dans leurs mémoires ou dans celle des lieux, une trace ou une quelconque empreinte ni même un signe, aussi abstrait soit-il. Inspiré d’une peinture de Mouna Chouk (représentant trois femmes), la pièce, à la blague intelligente et à l’humour des fois acerbe, nous a émus, nous renvoyant vers les conflits intérieurs de l’humain et toute sa fragilité. Une fois la pièce terminée, direction Galerie de l’espace pour découvrir, entre autres, les photographies de Benjamin Génissel et de Bruno Dunckel. Le premier proposant une série de portraits Visages de l’Est lointain et le second s’intéressant plus aux lieux avec sa série intitulée Ma situation. C’est autour du rapport du corps à l’espace que ce dernier tisse son travail. «Et ce corps, comme prétexte et support qui devient un sujet subjectif et un objet partiel. Je gomme une partie de ce support et donne une plus grande importance au geste, vertical…Je suis là, arpentant les coordonnées géographiques, baissant les yeux comme un enfant qui s’amuse à regarder ses pieds gesticuler. S’arrêter, respirer et lever les yeux vers le ciel pour mieux se situer et apprécier justement cette situation. C’est efficace», écrit-il. Ses photos sont découpées en deux parties, séparées verticalement et représentant justement cette situation avec une vue en contre-plongée et une autre en plongée. L’on a pu également découvrir les peintures de Mouna Chouk, l’excellente vidéo Muli face de la graphiste Chloé Msset et l’émouvant court métrage intitulé Ce qui se passe de Christophe Richtarch avec Pascale Crespy, Clotilde Marchand et Virginie Lurienne. Convergences fut également l’occasion de découvrir le spectacle chorégraphique Zoufri du danseur chorégraphe Rochdi Belgasmi. Une sémantique et toute une culture ont inspiré le spectacle. Il y a d’abord le terme Zoufri qui signifie à la base ouvrier et qui a été détourné par la suite pour signifier bandit et malfrat. Le spectacle rend hommage à ces ouvriers et à la culture populaire qui a donné lieu à des soirées bien particulières réservées uniquement aux hommes. Ces travailleurs se réunissaient à la fin de leur journée, dans des cafés, pour se lâcher, danser au rythme du mezoued et laisser parler leurs corps. Le rboukh, comme on l’appelle chez nous, est une sorte de rituel, une quasi-transe qui reprend les gestes du quotidien de ces ouvriers. «Cette danse ne manque pas également de connotation sexuelle et rend hommage au plaisir de la chair avec des gestes suggestifs», explique le danseur qui, en bon orateur, a présenté son travail. Dans une musique au rythme endiablé où la darbouka (percussion) fait la loi, Rochdi Belgasmi s’adonne énergiquement à cette danse et finit vers la fin par entraîner le public. C’est le concert du groupe de musique alternative ZoNe’Art qui a clos cette agréable soirée.

Meysem Marrouki
05-11-2014