Un état de grâce !

«Tahwila» présentée au 4e Nekor
«Je ne peux croire en un Dieu qui ne soit pas danseur», c’est avec cette phrase de Nietzsche, dite en voix off, que commence le spectacle chorégraphique «Tahwila» du Tunisien Rochdi Belgasmi qu’on a déjà vu danser dans la pièce «Tawassine» au 4e Festival Nekor du théâtre méditerranéen qui se tient jusqu’au 13 mai à El Hoceima.
Tahwila est transe, voyage dans le corps et dans le cri, oscillations interminables d’une chair torturée et jouissive transpercée par une musique berbère. Les premières plaintes d’une femme voient le jour avec le corps irisé du chorégraphe qui avance vers nous sur la pointe des pieds… Rochdi semble avoir été sculpté pour être danseur, ses muscles affutés giclent de la peau et font déjà quelques mouvements annonciateurs d’une inéluctable irruption. Pleins feux donc sur un corps apprêté pour la transe, titillé, provoqué, caressé et malmené par une musique venue du fond des âges. Des voix féminines indénombrables accompagnent l’artiste dans sa traversée des sens et des sons, une complainte interminable rythme la danse vertigineuse dont on entend également les halètements, les cris et les claquements de mains flagellant cette chair habitée…
«Tahwila» est le récit visuel d’un désir d’affranchissement, un exorcisme violent, une peau brûlée au soleil des origines… L’idée d’associer la danse contemporaine à la musique traditionnelle n’est pas dénuée de risques mais Rochdi réussit à épouser parfaitement chaque rythme, chaque bruissement, chaque murmure de l’eau… Cela donne un spectacle sans faille, une succession de frissons et de sursauts qui se transmettent inévitablement au spectateur ; c’est la folle quintessence d’un esprit malade en quête non pas d’une guérison mais d’une élévation dans le mal qui devient alors souffrance sacrée menant vers le Suprême, vers l’Absolu… Puis vient la voix inqualifiable de Houria Aïchi qui met le feu à la chair ; le chorégraphe se tord, tombe, se relève, court, se love autour de lui-même, se laisse entraîner par les aigus et les graves et nous transporte avec lui vers ce point lumineux où se tait l’univers et où ne reste que les infimes vibrations d’un corps libéré… Rochdi fluctue avec la lumière et c’est parfois elle qui danse sur sa peau comme un zéphyr édénique, tandis que la musique allume les contorsions, embrase cette part mystérieuse de soi d’où explosera un orgasme sans fin… «Tahwila» nous mène alors vers un état de grâce et les applaudissements qui tonnent dans la salle devant un Rochdi en sueur et en beauté ne sont, en fait, que le prolongement lubrique de la transe. Le salut au public n’est autre qu’une dernière danse, purement traditionnelle celle-là : ventre, fessier et bras fondent dans une fusion ultime. «Je ne peux croire en un Dieu qui ne soit pas danseur» car si Dieu a créé le corps de Rochdi Belgasmi et qu’il lui a insufflé une fibre de son âme, c’est qu’il est indéniable- ment un danseur.

Sarah Haidar
12-05-2012