Rochdi Belgasmi dans la peau du danseur Ouled Jallaba

Rochdi Belgasmi ou comment se réapproprier l’histoire de son pays à travers la danse…

Dans son spectacle « Ouled Jallaba » présenté en avant- première sur les planches du théâtre El Hamra, Rochdy Belgasmi a bien voulu porter l’habit de ce danseur, jongleur, chanteur et serveur, pour nous offrir un portrait particulier de ce Tunis des années 20, celui de l’ambiance des « café chanta » de Bab Dzira et Halfaouine où des dockers, des mineurs ou des cheminots venaient finir leurs rudes journées Entre histoire du pays et histoire personnelle, Rochdi Belgasmi dessine, dans son spectacle, les contours d’une époque historique particulière, celle de l’après-guerre dans un pays colonisé où la résistance commence à se mettre en place, ainsi que les traits d’un personnage artistique dont il n’existe plus que quelques rares traces. Et c’est de cette fusion historico-artistique que jaillit l’intérêt de ce travail que Belgasmi décrit comme suit : « C’est un spectacle à la fois chorégraphique et documentaire, mon idée est de pénétrer à l’intérieur de Ouled Jallaba, de m’identifier à lui et m’en détacher en même temps, et aussi de lier sa danse avec l’histoire de la Tunisie contemporaine ». Le spectateur plonge alors dans une ambiance feutrée, dans laquelle des échos de voix transportent le présent vers un temps ancien. Remonter la machine du temps, zapper 70 ans de notre histoire pour vivre un fragment de temps passé, un fragment de cette mémoire populaire bafouée. On ne connait pas toute l’histoire mais peu importe. C’est à travers ces petits détails de l’habit, du bijou, de la lumière, du son, des dates que Belgasmi recoud le personnage et l’histoire. Sans concession, notre danseur s’y prend corps et âme. Il y met beaucoup du sien pour colorer son tableau et insuffler à son personnage une vie nouvelle. Et c’est à travers la danse que Rochdi s’accroche pour remonter le fil du temps et tenter de se réapproprier un pan de l’histoire de notre pays, de notre culture, de notre corps. En effet, le spectacle Ouled Jallaba ressuscite une époque historique charnière tout en exposant une dizaine de rythmes de danses Tunisiennes -en les citant- tels le Fazzani, le Allegi, le Mrabaa, le Jandabi ou le Bou Naouwara. Ces rythmes nous rappellent alors, non seulement la diversité artistique de la danse tunisienne, mais aussi la richesse géographique et les spécificités de chaque région. D’où l’importance que revêt ce travail dansant dans la préservation de ce patrimoine fuyant. Comble de l’absurde, il n’y a jusqu’à ce jour en Tunisie aucun institut de danse, aucun organisme pour préserver tout ce patrimoine artistique si important pour notre identité et notre histoire. Rochdy Belgasmi creuse le sentier de la mémoire et nous rappelle qu’il y avait, mis à part Weld Jallaba, des dizaines de danseurs tels que « Msekni, connu pour avoir été le premier danseur de Qlels, Skafandri, Chok el Osbana, Qonfida, et autres danseurs travestis qui dansaient pour divertir un public d’hommes des faubourgs de Tunis et autres quartiers populeux ». Pour finir son spectacle, Rochdi Belgasmi appelle le public à venir libérer son corps et esquisser, comme le fit jadis des centaines de danseuses et danseurs tunisiens, des pas évoquant notre tunisianité. Sourires ou craintes se dessinent alors sur les visages pour montrer que le chemin est encore long, avant que le corps ne reprenne la place qui lui revient dans notre société. Après Transe, Zoufri, et Idha Assaytom, Rochdi Belgasmi met en scène dans Ouled Jallaba, une danse révélatrice de cette partie méconnue de nous, une danse défiant les limites du corps, une danse « partage heureux », une danse résistante à la folie guerrière de l’humain.

Chiraz Ben Mrad
05-08-2016