RENCONTRE
Au Métro al-Madina du 23 au 25 septembre, venu pour des ateliers de danse, le chorégraphe danseur tuni- sien présentera une performance le 27 de ce mois. Auparavant, il s’est confié à « L’OLJ ».
Depuis son jeune âge, Rochdi Belgasmi est attiré par les danses, notamment celles qu’il voyait dans les films égyp- tiens en noir et blanc. Il aimait également les danseurs et danseuses folkloriques que sa famille invitait pour les fêtes ou les cérémonies de mariage. Depuis son enfance, se profilait donc dans sa tête un projet de danse. « J’ai com- mencé à danser à l’âge de 10 ans dans des clubs à M’sa- ken, ma ville natale (charleston, tcha-tcha…). J’étais attiré par le corps et ses expressions. J’imitais les gens dans leur manière de marcher, de bouger les bras, même les mimiques de leurs visages. C’est dire combien la danse et les études étaient mes seules occupations.»
Premiers pas…
Sauf que son entourage ne l’entendait pas ainsi. « À l’école, les professeurs se moquaient de moi et trouvaient ce choix bizarre, dit Belgasmi. J’ai même compris, ajoute-t-il, que je n’avais pas le droit de rêver à haute voix, mais en silence, surtout que ma famille nourrissait d’autres projets à mon égard, comme par exemple l’académie militaire. On ne voulait même pas que je fasse mon baccalauréat en littérature, mais en mathématiques. Mon destin était d’ores et déjà dessiné. » Le jour de l’obtention de son bac, le jeune Rochdi Belgasmi confronte sa famille et crie haut et fort son amour pour la danse. Défiant le non catégorique de sa famille et les questions telles que «comment entends-tu gagner ta vie? La danse est-elle un métier en Tunisie ? » Et, surtout, la question brûlante concernant son «image d’homme dans la société». Il commence par s’installer à Tunis mais comme il n’y avait pas d’établissement pour enseigner la danse, il opte pour l’Isad (Institut supérieur des arts dramatiques) estimant que le théâtre est la plus proche discipline de la danse. Parallèlement, il suivra des formations de danse classique, de modern’jazz et de danse contemporaine dans des écoles pri- vées, et en travaillant avec des chorégraphes. «Je savais très bien que devenir danseur ou chorégraphe serait difficile dans mon pays, et que ça serait un vrai challenge pour moi, parce que cette discipline artistique n’est pas encore considérée comme un métier respectable dans notre société, ni même reconnue par l’État. Cette nécessité de gagner ce défiet mon caractère d’aventurier m’ont donc poussé vers ce choix : dédier ma vie à la danse et devenir un jour un chorégraphe de renommée. »
Grandes performances
Le danseur assumera son choix tout seul, sans l’aide de personne. Ses mentors seront d’abord sa mère et ses tantes chanteuses et danseuses, qu’il observera minutieusement. « D’elles, j’ai tout appris, dit-il. La forte présence de la femme dans ma vie m’a permis de devenir danseur. » Puis les icônes de danse, comme Khira Oubeidallah ou Nawel Skandrany. Depuis quelques années, le danseur chorégraphe s’oriente vers les danses populaires, après avoir réa- lisé que le milieu de la danse contemporaine en Tunisie avait complètement rompu avec les danses locales, pour aller chercher d’autres formes alternatives, très loin de la culture du pays. « J’essaye de créer un pont entre ces deux formes et de mettre ces danses populaires qui sont plurielles et riches sur une plate-forme contemporaine. » S’intéressant à l’actualité de la danse en Tunisie, ainsi qu’à son histoire, il interroge le corpus de la danse contemporaine tunisienne et décide d’aller vers les danses populaires « pour développer un lan- gage personnel au-delà de la mode, un langage alternatif avec une gestuelle très personnelle, centrée sur le bassin… ». À son actif, actuellement, plusieurs pièces comme Transe, Zoufri, Wa Idha Aassaya- tom, la chorégraphie de el-Mansia, el-Zaglama, Striptease et Ouled Jellaba. « J’ai trouvé que le patri- moine est une source d’inspiration pour moi, et qu’avec la danse populaire, on peut écrire, selon une approche contemporaine, l’histoire de son pays, dit-il. Ma compagnie, créée en 2011, recrute chaque année des interprètes pour des créations collectives. Et pour chaque création, on fixe les conditions pour l’audition. J’enseigne soit la danse contemporaine, soit la populaire, mais à Beyrouth, au Métro al- Madina, ce sera un travail d’initiation à la danse tunisienne, à nos musiques et nos rythmes. Il n’y a qu’une seule règle qui dicte toute la démarche, c’est l’envie de danser. Ce sera ainsi un moment de ren- contre et d’échange.
La revanche d’un danseur en jellaba
Les créations de Rochdi Belgasmi sont politiques, provocatrices, transgressives et l’esthétique n’est qu’un outil de travail. Dans Ouled Jellaba (qu’il présente au Métro), il met le doigt sur la question du genre et de la sexualité dans la société arabo-musulmane en s’appuyant sur l’histoire de la Tunisie contemporaine. « Il s’agit d’un spectacle de revanche sur l’histoire de la Tunisie, pour nos danses et pour les libertés personnelles ! » martèle l’artiste. À travers l’histoire des travestis qui ont préparé le terrain aux futures danseuses des « cafés- chantants » puis à travers le personnage de Ouled Jellaba dans les années 1920 qui a été rejeté plus tard par l’historie tunisienne (d’ailleurs on trouve très peu d’infos sur lui et sur d’autres qui ont animé les soirées tunisiennes de la capitale), Ouled Jellaba est cette « revanche d’un personnage oublié et rejeté dans une partie de notre histoire défigurée, qui renaît non de ses cendres, mais de sa beauté et de la complexité de genre ».