Ouled Jalleba, « Le fils du pays prodige »

Ouled Jalleba qu’on pourrait traduire selon notre entendement par : « Le fils du pays prodige »

Quand le vestimentaire traversé en travesti par la danse, se fait art

Rochdi Belgasmi nous envoie plein l’ouïe une suite sans fin de prénoms de femmes Tunisiennes susceptibles d’être les mères d’un Ouled Jalleba, travesti et danseur dans la médina de Tunis des années vingt; de même que Rochdi -ce maître de la scène- nous gratifie plein la vue d’une série de costumes, de sonorités musicales collectées, d’accessoires venus du patrimoine qui cadencent sa chorégraphie par les bijoux portés à la main et au bras droit ainsi qu’aux chevilles. En somme, nous assistons à un travestissement des plus chatoyants et des plus attractifs, un vrai spectacle! Une suite de dates et d’évènements cités comprises entre les deux guerres mondiales, époque vécu par notre travesti-danseur ponctuent la danse. Ce désir fou habité par notre danseur-chorégraphe Belgasmi consistant à reconquérir une mémoire chorégraphique mal considérée et marginalisée, se trouve matérialisé à travers un cumul successif d’éléments rassemblés à l’image des jarres posées l’une sur l’autre qu’il porte sur sa tête de danseur. Lourde est aussi le poids de la responsabilité qu’il endosse et dont il se charge afin de montrer qui sont-ils les Tunisiens. Rien qu’à voir la longue et digne tresse de cheveux noir de jais portée le long du dos, les fils dorés d’un haut de costume brodés sur velours et soie, des bijoux et des bracelets produisant des cadences, de la céramique émaillée des jarres décorées de Nabeul, nous nous trouvons en présence d’éléments qui expriment chez le chorégraphe un besoin clair et urgent d’établir un langage chorégraphique spécifiquement Tunisien. Pa ailleurs, au fond de la scène se dresse au milieu un parallélépipède en tissu semi-transparent. Cette longue verticale immobile tombe sur la scène comme une chute de fine lumière rafraichissante. Une subtilité qui tempère et stabilise le jeu chorégraphique si intense au point de retenir notre souffle avec les déplacements des pas funambulesques du danseur ayant l’audace d’aller au-delà des limites. D’autre part, la scénographie d’Ouled Jalleba nous rappelle le fameux tableau de Rembrandt L’Homme au casque d’or. En examinant ce dernier, on a l’impression que la lumière qui éclaire légèrement le visage du personnage provient de la matière même dont est fait ce casque et non d’une source provenant de l’extérieur. Ainsi, sommes-nous invités à admirer dans ce tableau ancien un contraste clair-obscur des plus subtil qui soit. En l’occurrence, l’éclairage parfois en semi-obscur de la scène d’Ouled Jalleba ainsi que celui des costumes, bijoux et du décor en blanc, le doré des broderies portées nous poussent à faire un rapprochement entre le traitement pictural de ce tableau et la conception scénique mise en place pour cette chorégraphie. Cela nous donne l’impression que ces objets tirés du patrimoine, en émettant leur propre lumière, font que «cet éclairage intérieur» provenant du cumul de presqu’un siècle ont inspiré la fibre et la quête créatrice du jeune danseur prodige qu’est Rochdi Belgasmi.

Amel Bouslama (Photographe et plasticienne)
01-12-2016