Le traditionnel à la rescousse du contemporain

Entre vieux chants berbères et danse contemporaine, le chorégraphe Rochdi Belgasmi semble avoir trouvé la “diagonale du fou”. Car il fallait bien le trouver ce filon, presque incertain, entre ces deux univers, pour pouvoir construire une chorégraphie convaincante et, pourquoi pas, “séduisante”. Le spectacle porte le nom de “Transes, corps hanté” et sera présent au Forum Euroméditerranéen de Toulon. Rochdi Belgasmi, artiste chorégraphique, danseur professionnel et professeur de danse-théâtre à l’Institut supérieur d’art dramatique de Tunis (ISAD), a déjà présenté sa chorégraphie “Transes, corps hanté” dans plusieurs pays : Palestine, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Maroc…, mais pas en Europe. Ce sera chose faite puisque le spectacle sera présent au Forum euroméditerranéen qui se tiendra à Toulon du 21 au 23 mars à Toulon. L’occasion s’est présentée à nous pour assister à une répétition et découvrir ce travail. Transe, corps hanté” est un solo de danse contemporaine qui s’inspire dans son écriture de nos danses populaires. Tout au long du spectacle, on ne voit qu’un seul corps qui “dit, en une syntaxe polymorphe et très colorée, quelque chose de très particulier, qui essaye de transmettre une idée ou une sensation plutôt qu’un discours”, souligne Belgasmi. D’accord, mais est-ce tout ? Non, car nous avons trouvé que l’originalité de ce spectacle tient aussi dans sa bande sonore, culturellement très marquée, et dans l’habileté de la chorégraphie qui construit une articulation sur le thème en question. Notons que la bande-annonce est le fruit de vrais enregistrements sonores avec des femmes, des hommes et des troupes de chants populaires du Kef, de Kasserine et de Siliana, montés par le chorégraphe lui-même. “L’idée est née d’un travail que j’ai fait autour de la danse traditionnelle en Tunisie, d’une rencontre avec un mythe de ce genre, Khira Oubeïdallah, ex-danseuse vedette de la Troupe nationale des Arts populaires. J’ai monté Transes pour parler des origines de ces danses en Tunisie, avec un travail de stylisation de forme, dans le sens de les intégrer à la danse contemporaine, tout en utilisant ces expressions libres et spontanées qu’on voit dans nos différentes fêtes et qui racontent l’histoire du pays”, précise le chorégraphe. Mais que chantent ces voix de femmes et d’hommes qui jalonnent tout le spectacle, en le soulignant, parfois, par des soupirs et des halètements ? Tout simplement la vie et la mort. Elles créent un rapport insolite avec le danseur, très généreux en mouvements stylisés, mais qui garde toujours une empreinte identitaire tunisienne. “La danse contemporaine s’est débarrassée de la forme et des limites culturelles. Transes est cette rencontre entre un corps culturel qui a une mémoire archéologique et une idée de ne pas danser, mais plutôt de réagir”, dit encore Rochdi Belgasmi. Réagir contre quoi ? Contre l’oubli et, en tout cas, contre la perdition de tout un patrimoine en déliquescence. “La Tunisie a perdu une partie de sa mémoire, contrairement à l’Algérie ou au Maroc qui ont pu conserver leur patrimoine musical berbère. Les traces qui persistent jusqu’à présent sont des musiques berbères, accompagnées de chants en langue arabe et parfois en chilha, “langue berbère”, comme le Rakrouki, le Nammouchi, le Jandoubi, Liheleylia, TargEssid, TargEssalhi, etc. Ce qui est particulier en Tunisie, ce sont les rythmes et non pas les chants: Allegi, Djerbi, Saâdaoui, Fazzeni et toutes les formes du Rboukh des ouvriers, BouguiBougui, Mdawar et limrabaâ, etc. Voilà le vrai patrimoine musical sur lequel je tente de monter mes spectacles”.

Salem TRABELSI
16-03-2013