Le patrimoine actualisé

«El Zaglama» est aussi et surtout notre rapport à l’Autre (le colon/l’Occident) à travers les voix du soldat, du résistant (fallega), du détenu, de l’exilé, autant de connotations qui renvoient à la Tunisie ancestrale et actuelle.
«Layali El Saf Saf» viennent, dans leur deuxième édition, enrichir les soirées ramadanesques de La Marsa. Cette édition 2015, qui a pris son élan le 28 juin dernier, se poursuit jusqu’au 16 juillet avec un programme varié. La soirée du 30 juin était dédiée à la danse et au théâtre avec le spectacle «El Zaglama» de Lassaâd Ben Abdallah. Un nombre assez correct de spectateurs présents pour découvrir ou (re)découvrir les chorégraphies de Rochdi Belgasmi et autres chants scénarisés de Cheb Bchir, les deux protagonistes de ce récent travail de Lassaâd Ben Abdallah. Ce dernier, toujours avec le même souci de théâtraliser notre legs oral et musical, nous propose un spectacle qui tente de retrouver une mémoire éparpillée à travers une lecture contemporaine qui en met à l’honneur une dizaine de chants et une quinzaine de performances chorégraphiées. Ses recherches dans ce domaine ont donné, avant cela, ses fameuses «Mensiet» (Les Oubliées), une œuvre qui ressuscitait le patrimoine chanté du nord-ouest tunisien et ‘’El Mensia » (L’Oubliée, 2014). «El Zaglama» s’inscrit dans la lignée de ces «Mensiet» qui, tout en étant profondément ancrées dans le terroir, dépassaient le simple traitement plat et proposaient une lecture-écriture-interprétation différente de la tradition orale. De même «El Zaglama» parvient à être essentiellement contemporaine (surtout à travers le travail des chorégraphies), tout en portant une empreinte esthétique qui provient de notre inconscient collectif. La terminologie, aussi et bien entendu, suggère ce patrimoine avec un titre tiré du langage dit «guejmi» (une sorte d’argot). En effet, la «zaglama» désigne la «tabla», un instrument de percussion fréquemment utilisé dans les fêtes populaires et symbole de virilité. Dompté par Cheb Bchir, elle sert de fil d’Ariane pour tisser les récits d’une part marginalisée de la société, ceux des laissés-pour-compte. Plus d’une heure consacrée à la matière scénique (chant, danse, tabla) de Lassaâd Ben Abdallah pour construire, avec ses deux protagonistes, le talentueux percussionniste Cheb Bchir et Rochdi Belgasmi, l’une des figures de la danse contemporaine en Tunisie, une histoire dont le propos est suggéré par les textes des chansons populaires, les gestes et autres mouvements sur scène, les costumes, la musique et la chorégraphie des danses traditionnelles. «El Zaglama» est aussi et surtout notre rapport à l’Autre (le colon/l’Occident) à travers les voix du soldat, du résistant (fallega), du détenu, de l’exilé, autant de connotations qui renvoient à la Tunisie ancestrale et actuelle. La mise en scène avec des références et autres renvois actuels s’inscrit dans une certaine lecture contemporaine. Cela est suggéré, entre autres, à travers les allusions faites à la danse classique, la valse, et au flamenco. La danse traditionnelle renaît ainsi autrement sur scène grâce au travail de Rochdi Belgasmi qui retrace l’histoire du «hzem», (un foulard qui sert à ceindre les hanches des danseurs). Le chorégraphe explique que «Zaglama» remonte aux sources des danses de plusieurs régions pour retrouver le sens de ce geste de nouer un «hzem» autour des hanches des hommes.

Meysem Marrouki
02-07-2017