« Lamboubet » la récente chorégraphie de Rochdi Belgasmi jouée par El Khadra et sept jeunes femmes

A 22h, vendredi 25 et samedi 26 mai 2018, Place de la Victoire, Bab Bhar, Tunis.
Un art qui n’encourage pas à l’hypocrisie sociale, art briseur de chaînes, art libérateur et réconciliateur avec le passé

Quand le si professionnel danseur-chorégraphe tunisien Rochdi Belgasmi nous gratifie d’un nouveau spectacle de danse, c’est après l’avoir réfléchi et fait mûrir durant des mois, en puisant sa matière première en permanence dans notre contexte : patrimoine autant personnel que collectif. Ainsi, le filtre-t-il à travers ses lectures, ses rencontres, ses réflexions, ses émotions, son âme, puis ouvre la voie à son corps pour répondre par la danse. Echange permanent entre le mental, l’affect et le matériel. Durant la période de gestation de sa chorégraphie, Rochdi fait passer sa création à travers les différentes sphères de son être tunisien avec fluidité, dextérité et perspicacité. Cet homme, que la mère a envoyé dès son jeune âge danser à sa place, parce qu’en tant que femme – vivant dans une société à tendance « castratrice » -, elle n’avait pu le réaliser, nous fait approcher d’abord de la grâce féminine et ensuite du cri de douleur de la femme empêchée de s’exprimer par son corps. Et là, Rochdi a accompli dans toutes ses précédentes créations chorégraphiques une double action, autant thérapeutique que cathartique. En cette année 2018, le danseur a décidé de rester en dehors de la piste et de rappeler à la scène une femme, ancienne danseuse, septuagénaire de milieu populaire. Il l’a tirée de son monde de tous les jours, de la morosité du quotidien et pendant cinq mois, il l’a entraînée à reprendre le rythme de la danse tunisienne. Ainsi, en résidence artistique à Dar Bach Hamba dans la médina de Tunis, encadrée, soutenue et financée par l’Association l’Art Rue, sous la direction chorégraphique de Rochdi Belgasmi, El Khadra, – cette femme qui a l’âge de sa mère, ce qui n’est pas un hasard gratuit – s’est remise petit à petit à danser comme avant, même mieux qu’avant, se refaisant une nouvelle peau grâce à cette nouvelle synergie insufflée par son directeur. D’autres jeunes femmes au nombre de sept se rallient à cette figure-emblème des années 80-90. Muni cette fois-ci d’une nouvelle orientation de travail, R. Belgasmi engage sa création dans une dynamique on ne peut plus contemporaine. Cela dépasse le cadre personnel et en tant que femme tunisienne, en regardant les chorégraphies de Rochdi Belgasmi, j’ai l’impression qu’il danse à la place de toutes les femmes privées de s’exprimer librement dans une société de terrain misogyne. Et au-delà de cette idée, il nous pousse à aller au devant de la scène, à sortir de nos cachettes, à nous dévoiler, à agir, à créer, à participer, à nous exprimer, à verbaliser, à nous manifester, à communiquer…Bref, nous libérer, et aller au-delà du su, du connu, du vu et du entendu, semble être l’adage de notre danseur qui créé en se dépassant perpétuellement sans faire fausse route. Et encore par cette nouvelle chorégraphie Rochdi brise les chaînes et les moules de l’éducation étriquée, du conservatisme, des carcans archaïques qu’on nous fait subir dès notre tendre enfance, et tente à faire dépasser les tabous et les interdits de toutes sortes. Critiquant avec acuité l’hypocrisie sociale qui impose le mensonge, la dissimulation, le port du masque, les créations de Rochdi nous incitent à nous montrer tels que nous sommes, à ne pas nous fixer sur nos apparences et sur l’apparat en général, – ce fléau -, mais plutôt à exercer nos cinq sens, et à nous sentir vivre et exister par tout notre corps sans aucun complexe. Aussi, notre idéaliste et rêveur chorégraphe national est à l’image de la métaphore de l’arbre de l’artiste peintre Paul Klee : d’une part il ne cesse de puiser sa nourriture dans le terroir en cherchant dans ses racines. Et d’autre part, il étend les ramifications de sa création dans plusieurs directions, lorsqu’il touche dans son œuvre l’actualité sociale, économique, culturelle et politique ainsi que la contemporanéité de l’art dans ce qu’elle a d’interactif et de décalé. Sans douter, allez vivre ce spectacle ouvert à tous en ce bon mois de ramadan.

Amel Bo
26-05-2018