La danse traditionnelle tunisienne et une partie de l’histoire du pays sont revisitées, à travers le personnage d’un danseur des années 20.
C’était samedi dernier, au théâtre El Hamra là où le spectacle est né. Le temps que le public s’installe dans la salle et sur scène, l’homme, derrière les rideaux en voile, contemple ses costumes… Au bout d’un moment, il commence à se travestir. Lentement, mais sûrement, il met sa perruque noire avec une longue tresse, un corsage noir brodé de fil doré, bracelets et «kholkhal» (anneaux de cheville) au bout du pantalon… Une voix off débite des prénoms : Oueld Fatma, Oueld Naziha, Oueld Jawhara… une infinité de «fils de leur mère», pour arriver enfin à oueld Tounès… Oueld Jellaba. Ce dernier n’est autre qu’un danseur des années 20 qui se déguisait en femme pour divertir les spectateurs des cafés chantants.
La danse commence. L’homme tape des pieds sur le plancher avec une détermination brûlante. Rochdi Belgasmi n’«héroïse» pas son personnage, pas plus qu’il ne l’enferme dans une grille d’interprétation classique. Il donne à voir un homme pas comme les autres, en offrant, à chaque mouvement, une facette de l’histoire. Celle-ci est également racontée en voix off, avec des dates précises, allant de 1914 aux années 40. Les événements en disent long sur un petit pays attaché, malgré lui, au chaos mondial. Le regard secoue la mémoire, en farfouillant dans les archives de l’histoire et des «cafés chantants». Le but est de découvrir, peut-être, quelques influences souterraines, et de dire qu’il est possible de replacer la danse traditionnelle tunisienne au cœur de la danse contemporaine. Dans la deuxième partie du spectacle, Rochdi s’éloigne des intentions qui donnent plus à voir qu’à comprendre, pour redevenir lui-même et inviter le public à danser en suivant ses pas. Les mouvements sont précis et codés. Les spectateurs redécouvrent une danse si belle et si difficile à la fois. La salle s’échauffe. Les plus timides se contentent d’applaudir. Rochdi clôture son working progress, par un moment où il est seul à danser, entouré de ses «apprentis». La musique s’arrête au moment même où la gargoulette pleine de fruits secs et de bonbons s’écrase sur le sol. Un geste qui nous replonge dans l’enfance. Les spectateurs se baissent et ramassent. C’est cadeau. La danse traditionnelle est rarement en fête en Tunisie. Certains artistes s’y sont attaqués. Ils l’ont revisitée de plusieurs manières, sur scène et hors les théâtres. Citons d’abord le Théâtre Phou dans «El amal», Malek Sebai et Sondos Belhassen dans Dream City 2007, et le même Rochdi avec Keira Oubeïdallah (maître de ballet de la troupe nationale folklorique) dans une chorégraphie de Malak Sebaï, Dream City 2012. On serait vraiment gourdes de ne pas les saluer.