La danse du masculin-féminin

Après Zoufri et Idh Assaytom, Rochdi Belgasmi présentera, le 25 juin au théâtre Al Hamra, sa toute nouvelle création Oueld Jellaba.

Ouled Jellaba est un personnage qui a réellement existé dans le «Tunis» des années 20. C’est un travesti qui dansait dans les cafés chantants (Kafichanta) et autres fêtes publiques car à cette époque, les femmes étaient complètement interdites des espaces publics de ce genre. Ces danseurs-hommes étaient des substituts aux femmes, et ce phénomène, à cette époque, pourtant conservatrice, était très ordinaire. Après cette époque où la danse était purement féminine, même si elle est pratiquée par des hommes, est venu le temps de la danse masculine avec Dengri et Zonnar. Pour son spectacle Ouled Jellaba, Rochdi Belgasmi s’inspire de ce personnage, hors du commun, et tisse un solo entre la tradition et la contemporanéité. «C’est un hommage que je rends à ce personnage quelque part pionnier de la danse féminine en Tunisie et qui a disparu, aussitôt que les femmes ont commencé à se libérer et à conquérir l’espace public et festif». Le texte de présentation de ce spectacle nous attire dans cet univers de non-dit, de tabou et de vie de scène sous les projecteurs. Un texte qui semble sortir de la bouche de ce personnage atypique : «Une histoire comme la mienne ne devrait jamais être racontée, car mon univers est aussi fragile que tabou…Rien ne me disposait à devenir danseur, mais c’est le destin qui décida ainsi… Et me voilà, enfin, devant vous… savez-vous qui je suis ? Et savez-vous ce que j’étais ? Un danseur n’a pas de vie, il vous divertit… Nous vendons nos talents, mais pas nos corps…Nous donnons du plaisir à la vie… Vous buvez du thé, du café… Et nous dansons pour vous…». Ce projet «Lauréat 2016 du Prix Olfa Rambourg pour l’Art et la Culture, qui sera présenté sur la scène du théâtre Al Hamra, est un travail qui s’inscrit dans la continuité du parcours de ce danseur chorégraphe. Un travail sur le fil du rasoir avec une exhibition de l’intime et du plus communément partagé, la remise en question de la tradition et du contemporain dans un processus de recherche et d’extraction continue pour prendre le corps à rebrousse-poil. Entre tradition et contemporanéité, le corps se met constamment en jeu. Et comme dans Idh Assaytom (méta-danse), son dernier solo de 2014 qui fait jouer transgression et interdit par la sexuation du jeu chorégraphique, l’enjeu de Ouled Jellaba est d’oser, mais tout autrement ;; élever la danse des «cafés chanta» à la hauteur d’une contemporanéité bien assumée et revendiquée.

Asma DRISSI
11-06-2016