J’imagine, je crée, donc j’existe

La Nuit des idées à l’Institut français de Tunisie

Cette année, la manifestation s’est inscrite sur le thème : «L’imagination au pouvoir», un slogan largement répandu dans les manifestations de 1968. La nuit porte conseil, comme on dit, d’autant plus si elle est animée par des débats et autres rencontres, si elle est propice aux échanges, aux trouvailles. D’un lieu à un autre, dans les quatre coins du globe, les noctambules circulent et avec eux les idées et les pensées. Cela a pris forme, le 25 janvier 2018, lors de La Nuit des idées et ça s’est passé à Paris, Tokyo, Johansbourg, Dakar mais aussi à Tunis, Sousse Sfax et dans d’autres villes du monde. Une occasion de «célébrer la circulation des idées entre les pays et les cultures, les disciplines et les générations» en rassemblant simultanément, dans nombreuses villes autour du globe, des intervenants de tous horizons — intellectuels, chercheurs, artistes… Après une première édition parisienne en 2016, La Nuit des idées, un événement organisé par l’Institut français, s’est exportée en 2017 à travers le monde entier. Une invitation à découvrir l’actualité des savoirs, à écouter celles et ceux qui font avancer les idées dans tous les domaines, à échanger sur les grands enjeux de notre temps. Parce que la pensée est a-frontières, toutes les formes sont bienvenues (conférence, théâtre, performance, projections, concert…), et les lieux les plus prestigieux comme les plus inattendus sont conviés à se joindre à la fête, en proposant leur interprétation originale du thème proposé. Au fil des fuseaux horaires, les échos de La Nuit des idées se répercutent via les réseaux sociaux, faisant de La Nuit des idées un événement global. Sous nos cieux, l’événement organisé par l’Institut français de Tunisie (IFT) marque cette année sa deuxième année et devient franco-tunisien avec l’implication de différents partenaires. L’édition précédente avait pour thème «Un monde commun» et a rassemblé plus de 4.000 participants. Cette année, la manifestation s’est inscrite sous le thème : «L’imagination au pouvoir», un slogan largement répandu dans les manifestations de 1968. Il y a 50 ans, soufflait un vent de révolte et la France vibrait sous les mouvements de mai 68. Sur les murs, le slogan «L’imagination au pouvoir» revendiquait l’avènement d’un monde nouveau. La jeunesse tunisienne de l’époque, avec d’autres revendications en plus, suivait aussi le mouvement . En 2018 qu’en est-il des utopies d’alors ? L’Imagination a-t-elle pris le pouvoir ? La créativité est-elle au centre des prises de décision ? Comment redonner à ce slogan une actualité ? C’est autour de ces questionnements que différentes tables rondes et autres conférences et performances ont eu lieu à l’Institut français de Tunisie, à Tunis, Sousse et Sfax, au lycée français Gustave Flaubert de La Marsa, mais également à l’Hôtel de Ville de Tunis, l’Université Esprit et l’espace de coworking Cogite. Du côté de l’IFT, le programme était varié, incluant différentes tables rondes et autres projections et performances. C’est l’intervention, dans la galerie de l’institut, du graffeur franco-tunisien Jaye qui a donné le coup d’envoi de cette Nuit des idées. «L’imagination est plus importance que le savoir» avait inscrit l’artiste qui est exposé dans de nombreuses institutions et galeries (Palais de Tokyo, le Grand Palais). Un mot de bienvenue de la directrice de l’institut Sophie Renaud dans la cour centrale, qui a abrité une grande partie du programme, et la nuit pouvait commencer in situ et via des vidéos diffusées en direct sur youtube. Réunis autour du thème «Révolutions, illusions et évolutions», les historiens Hichem Abdessamed, Kmar Bendana, la professeur et psychanalyste Raja Ben Slama et le politologue et islamologue Chérif Ferjani ont échangé, lors d’une table ronde animée par la directrice de l’Irmc, Oissila Saaidia, et Frédéric Bobin, correspondant au journal Le Monde, leurs idées et impressions sur le mai 68 tunisien et des utopies de notre époque. Des échanges pas vraiment transcendants à dire vrai mais l’on peut mettre cela sur le compte des restrictions temporelles. L’imaginaire dans et par le corps C’est surtout sur le volet culturel et artistique du programme que l’on va s’attarder. Ainsi l’on a pu profiter de l’excellente performance du danseur tunisien Rochdi Belgasmi «Ouled Jellaba». Travaillant sur le corps/mémoire comme il l’a expliqué, par la suite lors d’une table ronde intitulée : «Le corps dans tous ses états», l’artiste rend hommage à un «personnage» des années 20, un travesti qui présentait des performances de danse populaire. «Je me mets complètement dans la peau de cette personne», l’idée étant de ressusciter ce personnage marginalisé et oublié, comme tant d’autres, et le réhabiliter dans la mémoire collective. Rochdi Belgasmi, travesti (une perruque avec de longues tresses brunes, blouza tunisienne, hzem et kholkhal), s’adonne, aux rythmes d’une musique électro-mezoued, à une performance de danse et d’équilibriste. Il dansait, titillant les limites de son corps, avec sur sa tête une jarre et autres petits verres et bouteille placés sur une planche. Les limites et l’impossible sont aussi abordés par l’artiste du cirque et trapéziste Chloé Moglia. Cofondatrice de la compagnie Moglice-Von Verx et directrice d’une association en Bretagne nommée Rhizome, l’artiste réalise des performances dans le trapèze et la suspension. Elle a créé plusieurs spectacles basés sur des disciplines aériennes avec de nombreuses représentations en France et nationales. Dans ses performances, Chloé Moglia défie les lois de la gravité, se suspendant, dans l’un de ses spectacles de cirque de rue, d’une rampe souple, posée sur trois pieds, pour 6 mètres de haut dans les espaces les plus communs comme les plus improbables. La suspension, de près comme de loin, consiste à rester vivant, ou d’une certaine manière, à le redevenir. Pour cela, la pratique a enseigné à Chloé Moglia qu’il faut faire 2 choses : ne jamais lâcher et lâcher toujours. L’artiste explique dans la même table ronde modérée par la socio-anthropologue Monia Lachheb, que son travail dépasse l’imaginaire du cirque pour explorer la pesanteur, et les variations infinies de ce qu’on nomme, parfois trop rapidement, le vide. «L’on n’est plus dans la peur suscitée par les spectacles du cirque mais plutôt dans un sentiment d’inquiétude, dans une exploration de l’impossible», précise-t-elle. Une imagination et des utopies rendues possibles par et dans le corps dans différentes états: le corps social, le corps mémoire, le corps-performance… Entre-temps du côté de l’auditorium, le magicien Thierry Collet abordait un autre imaginaire avec son spectacle de magie mentale «Vrai/faux- Rayez la mention inutile». Fait d’illusions optiques, d’expériences psychologiques interactives et d’effets magiques, ce spectacle interroge ce qui conditionne nos goûts et nos choix. La nuit des idées à l’IFT s’est poursuivie jusqu’au bout de la nuit avec des échanges autour de thèmes tels que «L’art et la technologie au service de la nature», «Les utopies et l’histoire en marche», la jeunesse et l’engagement social, de la vidéo, de la musique et surtout des idées plein la tête ! A la prochaine édition.

Meysem Marrouki
30-01-2018