Quand le jeune et professionnel danseur-chorégraphe tunisien Rochdi Belgasmi nous gratifie d’un nouveau spectacle de danse, c’est après l’avoir réfléchi en puisant sa matière première dans notre vécu autant personnel que collectif. Ainsi, le filtre-t-il à travers ses lectures, ses rencontres, ses réflexions, ses émotions, puis ouvre la voie à son corps pour répondre par la danse. Avec lui, nous assistons à un échange permanent entre le mental, l’affect et le corporel. Durant la période de gestation d’une chorégraphie, Rochdi fait passer sa création à travers les différentes sphères de son être tunisien avec fluidité et perspicacité. C’est un homme, dont la mère, paraît-il, l’a envoyé dès son jeune âge danser à sa place, parce qu’en tant que femme vivant dans une société castratrice, elle n’a pas pu réaliser son rêve. A l’occasion, Rochdi, nous fait approcher d’abord de la grâce féminine et ensuite du cri de douleur de la femme empêchée de s’exprimer par son corps. Et là, Rochdi accomplit par « Méta-danse » une action oh, combien cathartique ! Cette démarche artistique dépasse le cadre personnel et subjectif et en tant que femme tunisienne, en regardant danser Rochdi Belgasmi, j’ai l’impression qu’il danse à la place de toutes les femmes privées de s’exprimer librement. Et au-delà de cette idée, il nous pousse, femmes et hommes à aller au devant de la scène, à sortir de notre repli, à nous dévoiler, à participer, à nous exprimer, à verbaliser, à expliquer, à nous manifester, à communiquer, à agir et à créer au-delà de nos désespérances. Bref, nous libérer, aller au-delà du su, du connu, du vu et du entendu, semble être l’adage de notre danseur qui créé en se dépassant perpétuellement sans faire fausse route. Et encore par cette nouvelle chorégraphie, Rochdi brise les chaînes et les moules de l’éducation étriquée, du conservatisme, des carcans archaïques qu’on nous fait subir dès notre tendre enfance et tente à défier les tabous et les interdits de toutes sortes. Critiquant ainsi avec acuité l’hypocrisie sociale qui impose le mensonge, la dissimulation, le port du masque, « Méta-danse » nous incite à nous montrer tels que nous sommes, à ne pas nous attarder sur nos apparences et sur l’apparat en général, ce fléau social ; mais plutôt à exercer nos cinq sens, et à nous sentir vivre et exister par tout notre corps sans aucun complexe ou préjugé. Aussi, notre chorégraphe-danseur national est à l’image de la métaphore de l’arbre de Paul Klee qui traduit l’artiste : d’une part, il ne cesse de puiser sa nourriture du terroir en cherchant dans ses racines. Et d’autre part, il étend les ramifications de sa création dans plusieurs directions, lorsqu’il touche par son œuvre l’actualité sociale, économique, culturelle et politique et à plein d’égard la contemporanéité de l’art actuel dans ce qu’elle a d’interactif et de décalé.
Art qui n’encourage pas à l’hypocrisie sociale, art briseur de chaînes, art libérateur.
Amel Bouslama (Photographe et plasticienne)
13-12-2014