Le spectacle d’ouverture de la 53e édition du Festival international de Carthage, «Fen Tounès» (l’Art musical tunisien), produit et concocté par Chadi Garfi, mérite bel et bien un arrêt sur image.
Dans «Fen Tounès», l’objectif était de revisiter 60 ans de musique tunisienne, un segment important de notre histoire musicale, et ce, depuis l’indépendance. Soit, en conséquence, tout un patrimoine riche de compositions, de mélodies et de figures emblématiques entre auteurs, compositeurs et interprètes. Lesquels nous ont légué des airs inoubliables et mémorables qui ont marqué la mémoire collective et fait les beaux jours de la chanson tunisienne, jadis, empreinte d’une beauté et d’une créativité certaine. Cependant, ce n’est pas la première fois que des morceaux de notre patrimoine musical ont été revisités. Mohamed Garfi, le père de Chadi, a déjà emprunté cette voie et l’Orchestre symphonique tunisien, que ce soit sous la direction d’Ahmed Achour ou de Hafedh Makni, aussi. Revisiter le patrimoine musical sacré comme dans «Nouba» et les nombreuses «Hadhra» et/ou profane frise, de plus en plus, le phénomène. Cela en raison d’une crise de création certaine mais aussi par manque d’une politique et d’une stratégie de production et de diffusion musicales. Bref, Chadi Garfi a revisité certaines créations musicales du patrimoine choisies subjectivement, voire arbitrairement, car il est difficile de représenter et de refléter, en deux heures, 60 ans de musique tunisienne. C’est pourquoi l’artiste et chef de l’orchestre et du chœur philharmonique de Tunis a plutôt mentionné, afin de justifier ses choix artistiques, qu’il s’est plutôt focalisé «sur les étapes de l’évolution de la musique tunisienne». Tous ces airs revisités sur fond de polyphonie, qui consiste à combiner les mélodies, les instruments modernes et traditionnels et les voix entre le chant arabe et l’opéra, constituent une sorte d’hommage rendu à de grands compositeurs, dont Mohamed Triki, Salah Mehdi, Chedli Anouar, Ali Chalgham, Ali Riahi, Hédi Jouini, Sadok Thraya, Mohamed Jamoussi, Kaddour Srarfi, Abdelkrim Shabou et Ismaïl Hattab, étaient plus ou moins réussis. C’était selon la qualité de la fusion et de l’harmonie entre les instruments modernes et traditionnels et selon la qualité de l’interprétation vocale. Certaines voix étant sur le déclin (Kacem Kéfi, Adnène Chaouachi, Soulef) ou carrément à côté de la plaque notamment Mongia Sfaxi. Toutefois, et malgré tout, la magie des airs interprétés a plané sur le théâtre romain de Carthage. Citons-en ceux immortalisés par les voix de Youssef Temimi, Saliha, Mustapha Charfi, Hédi Jouini, Ali Riahi, Oulaya, Sonia Mbarek et autres : «Hani jitek y a rammel», «Tabaâni», «Foug echojra», «Mahabitech», «Khalli iqoulou achihem», «Tetfatah lechkoun», etc. On n’a pas compris, cependant, qu’après des semaines de répétition, Mohamed Jebali n’ait pas appris les paroles de la chanson de Mohamed Jamoussi «Fi ouyounek nar tekoui» et que Kacem Kéfi s’échinait à lire, sur un bout de papier ballotté par le vent, les paroles du vieux tube d’Ahmed Hamza, «Chahloula leken guettela». Voilà qui déprécie ce spectacle mis en scène par Hatem Derbal et chorégraphié par Rochdi Belgasmi. Un danseur talentueux qui a séduit le public, hélas peu nombreux, par la qualité de son art. Pourtant, le danseur ayant accompagné Rached Mejri et Kacem Kéfi dans leurs prestations, a, dans un post sur son compte facebook, indiqué que des députées d’Ennahdha, présentes aux premiers rangs, se sont voilé la face quand il est monté torse nu sur scène. Et il n’a pas manqué, sarcastique, de leur dédier le spectacle. Mais la députée Meherzia Laâbidi a démenti formellement ce fait, dans une déclaration à une consœur d’«Essabah El Ousboui», en affirmant «qu’elle a, bien au contraire, apprécié le spectacle et que la danse fait partie intégrante de la personnalité tunisienne et de nos fêtes». Tout en espérant, par ailleurs, que cet artiste pourra contribuer à l’élévation du goût du public, lui souhaitant, au final, succès et réussite. Au-delà du buzz et de la polémique suscitée, sur les réseaux sociaux, la prestation de Rochdi Belgasmi a été, qu’on le veuille ou non, un moment fort de «Fen Tounès». Notre art musical mérite, certes, d’être revisité mais il a aussi besoin d’un nouveau souffle porteur de nouvelles créations de qualité marquant d’autres étapes importantes et innovantes de son histoire.
«Fen Tounès» à Carthage Revisiter, oui… mais créons aussi
Samira DAMI
23-07-2017