Né à Sousse en 1987, Rochdi Belgasmi commence à danser à l’âge de 10 ans. À cette époque, il pratique des danses comme le charleston et le cha cha cha. Toujours attiré par les corps et leurs expressions, il a le souvenir d’imiter les gens dans leur manière de bouger et de danser « Toute leur gestuelle était transcrite dans ma mémoire de corps d’enfant, et c’est à cause de cela que les gens me disaient souvent « tu bouges comme les adultes »… » Après avoir obtenu son bac en 2006, il déménage à Tunis. Souhaitant se professionnaliser en danse, mais ne trouvant pas de formation professionnalisante dans ce domaine, il opte pour l’ISAD (Institut Supérieur d’Art Dramatique à Tunis). Parallèlement, Rochdi pratique la danse en travaillant avec plusieurs chorégraphes tunisiens et en prenant des cours privés en danse classique, modern’jazz et en danse contemporaine. Il déclare dans sa biographie être à la recherche d’un langage alternatif, au-delà du monde ; un langage ou l’on exploite intelligemment le processus de réflexion de la danse contemporaine pour travailler sur les danses locales. Le déclic a lieu lorsque, interrogeant le corpus de la danse contemporaine tunisienne, il rencontre Khira Oubeidallah, figure de danse populaire. Il décide alors d’aller vers les danses populaires tunisiennes pour développer un travail chorégraphique dont la gestuelle, très personnelle, est centrée sur son bassin.
Le dernier spectacle auquel il participe est El Zaglama, de Lassaâd ben Abdallah. Il a été joué au ciné-théâtre Le Rio le samedi 20 février. Il a beaucoup plu, autant au public qu’à notre magazine. Mais que signifie donc le mot « Zaglama » ? « Zaglama » appartient à un langage des souks, el Guijmi, le langage des artistes populaires. Ce mot réfère à un langage très codifié qui mélange l’arabe et l’amazigh, où les mots sont inversés pour leur donner un nouveau sens. Cette inversion permettait de protéger les secrets des métiers de ces artistes. Par conséquent, le Zaglem signifie celui qui pratique la Zaglama, celui qui joue de la Tabla (le tambour de la tradition). C’est d’ailleurs, l’unique instrument utilisé dans ce spectacle. Il reliait el Hayeb, à savoir le danseur (Rochdi Belgasmi) et el Zaglam (Cheb Bechir). L’objectif du travail des deux artistes, sous la direction de Lasaâd Ben Abdallah, consiste à revisiter le patrimoine immatériel et oral de la Tunisie moderne, ainsi que sa mémoire récente, celle du dernier siècle. Leur duo, Rochdi et Bechir, peut rappeler les duos de danse de Zyna w Aziza ou Aïcha w Mamia. On retrouve dans ce spectacle les thèmes abordés par le danseur dans : la libération du corps, une certaine sensualité, le mélange des genres entre danse tunisienne traditionnelle, danse orientale, classique, moderne et contemporaine, et aussi le mélange des genres entre masculin et féminin. Sont aussi présents les thèmes de l’emprisonnement du corps, libéré par la danse, ainsi qu’un désir de sortir des milieux auxquels il se restreint. Le moteur de ce travail a été la révolution, touchant ainsi le cœur de la culture tunisienne. L’actualité de la danse en Tunisie, après le 14 janvier, préoccupe note danseur, par ailleurs attaché à son histoire, dont il tente d’être témoin. Le monde de l’art en général, et de la danse en particulier, a connu une libération postrévolutionnaire. Elle a donné aux artistes le droit à la parole. C’est pourquoi Rochdi nous parle des réformes profondes dont il souhaiterait l’application, comme la remise en cause des politiques culturelles en Tunisie, en revoyant le statut des artistes Tunisiens, ou en étudiant la question du droit d’auteur. « Avant, on trouvait toutes formes de censure, mais aujourd’hui, la révolution nous permet d’aborder tous les sujets. C’est grâce à elle que mon travail aborde des sujets tabous comme la sexualité en Islam, l’érotisme, ou encore le langage pornographique. » La réception de cette approche particulière de la danse par le monde de la danse tunisienne aux fortes influences occidentales pourrait poser problème… Depuis quelques années, le Zaglem s’est redirigé vers les danses populaires parce qu’il remarque que le milieu de la danse contemporaine en Tunisie a complètement rompu avec celles-ci, pour aller chercher des formes alternatives qui « ne nous ressemblent pas. » « Mon travail consiste aujourd’hui à faire une forme de réconciliation, créer le pont entre ces deux formes et trouver la bonne approche pour mettre ces danses populaires qui sont plurielles et riches sur une plate-forme contemporaine. »
Selon lui, il est triste de voir que la collaboration reste rare entre les artistes contemporains aux fortes influences occidentales et les artistes populaires, ces derniers se contentant de l’aspect folklorique de ces danses pour les destiner à un public de touristes. Ainsi, il milite pour l’exportation de la culture tunisienne à l’échelle internationale. Il a été le premier représentant de la danse tunisienne, et également le premier participant tunisien au CID (Conseil international de la danse à l’UNESCO), une instance internationale qui s’occupe des métiers de la danse dans le monde. Cela lui a permis de participer à d’importants festivals de danse, de colloques internationaux et d’être l’ambassadeur de la danse tunisienne et arabe afin de donner une image juste et actuelle de la danse en Tunisie. Il déclare que les programmateurs étrangers le contactent pour la qualité de son travail mais surtout pour son authenticité. Quand on lui demande qui sont les danseurs tunisiens dont il apprécie le travail, il évoque les deux chorégraphes tunisiens Hafiz Dhaou et Aicha Mbarek, qui sont installés à Lyon et qui travaillent sur une certaine « tunisianité » qui l’attire toujours. Il possède également une « fascination pour les arts visuels ». Les artistes dont il apprécie le travail sont entre autres Nidhal Chamekh, Selim Ben Cheikh, Sonia Kallel, Houda Ghorbel, Wadii Mhirii et Mouna Jemal Siala. Il projette de mettre sur pied plusieurs spectacles pour transmettre sa vision particulière. Il prépare son prochain solo, baptisé Weld el Jellaba. Il raconte l’histoire du premier danseur tunisien qui s’est battu contre le conservatisme. Cet ancien danseur tunisien n’a pas arrêté d’embarrasser, voire choquer, son public dans les années 1920. C’est pour cela que Rochdi Belgasmi a fait le choix d’aller vers « raksit el nos », c’est-a-dire les danses du bassin, danses féminines s’il en est, avec une gestuelle frappante que l’on retrouve dans les danses de «Ouled Jelaba». Sinon, il continue à jouer ses deux anciens solos : Zoufri (qui sera donné à Paris les 16 et 17 avril au Théâtre Antoine Vitez, à Ivry).