Produit par Habib Bel Hédi, le nouveau spectacle de Lassaad Ben Abdallah entame un premier cycle au Rio et s’inscrit dans la lignée des œuvres oscillant entre mémoire populaire et art contemporain. Un alliage subtil avec en prime la fougue créatrice de Rochdi Belgasmi et Cheb Bchir…
Enfin! Lassaad Ben Abdallah est finalement de retour avec une nouvelle création et cette œuvre qui sera présentée en avant-première aux journalistes ce vendredi 15 mai promet monts escarpés et merveilles anticonformistes. Un premier cycle de ce spectacle produit par Habib Bel Hédi est programmé au Rio du 22 au 24 mai. Il s’agit en effet d’un spectacle dans la lignée des fameuses «Mensiet» qui ressuscitait le patrimoine chanté du nord-ouest tunisien. «El Mensiet» de Lassaad Ben Abdallah avait connu en son temps un succès fulgurant et mené cette création aux quatre coins de la République. Cette œuvre profondément ancrée dans les terroirs sortait des terrains battus de la création et proposait une lecture-écriture-interprétation différente de la tradition orale. Comment débusquer les bribes de l’inconscient collectif? Bien entendu, on ne saurait résumer Ben Abdallah à une œuvre, fut-elle aussi emblématique de nos arts contemporains du spectacle. Car en soi, «El Mensiet» est un paradoxe en ce que cette œuvre parvient à être essentiellement contemporaine tout en portant une charge esthétique qui provient de nos tréfonds, de cet impalpable inconscient collectif dont les racines sont plantées dans un limon immémorial. Hormis «El Mensiet», Lassaad Ben Abdallah est un créateur qui cultive l’art du décalage. Ainsi est-il parvenu, tout en étant directeur du centre national des arts dramatiques et scéniques du Kef, à créer l’une des œuvres les plus sulfureuses du théâtre tunisien. Intitulée «Bakhara», cette création à laquelle une critique paresseuse n’avait pas prêté suffisamment attention était le premier manifeste artistique dénonçant les errements du système politique dominant. Sans un mot, seulement avec leurs corps, trois comédiens se lançaient dans une danse aussi sulfureuse que violente, pornographique au sens étymologique du terme. De la sorte, Ben Abdallah signait un pamphlet voire un brûlot. La réponse de l’establishment fut d’ailleurs très vive puisqu’après deux ou trois représentations, ce spectacle fut censuré, sans espoir de revenir sur scène. L’œuvre a ainsi été discrètement escamotée et Ben Abdallah a poursuivi son chemin. Le parcours de ce créateur venu du théâtre privé et qui y revient après un passage par le secteur public est des plus impressionnants. D’abord animateur de Cith’art, une compagnie privée, il a créé plusieurs œuvres dont des adaptations de Jean Genet ou Samuel Beckett. Ben Abdallah est aussi le créateur de «Taqassim», une œuvre dans laquelle, jeune metteur en scène, il dirigeait deux monstres sacrés du quatrième art, à savoir Béchir Drissi et le regretté Jamil Joudi. Passé dans le secteur public en devenant directeur du centre d’art dramatique du Kef, Ben Abdallah a continué son travail de créateur tout en invitant de nombreux artistes à travailler dans cette ville du nord où il allait créer les toujours dynamiques «24 heures de théâtre non stop». Ensuite, il se dirigera vers Hammamet pour y animer le centre culturel international auquel il redonna des couleurs malheureusement ternies aujourd’hui. Légèrement en retrait ces dernières années, il a contribué à plusieurs actions menées par l’association «Kolna Tounés» et le voici qui reprend enfin sa casquette de créateur pour «Zaglama». Brecht, Pina Bausch, Ariane Mnouchkine et… notre patrimoine Pour cette nouvelle œuvre, une belle équipe a été constituée avec notamment Rochdi Belgasmi, le chorégraphe danseur qui a le vent en poupe, et Cheb Bchir dont le public va bientôt découvrir les talents de percussionniste tout terrain. Sur scène, ce duo interprétera avec Ben Abdallah qui devrait remonter sur les planches, les rôles de El Hayeb, El Zaglem et El Nabar. Assistant de production, Hassib Jeridi complète l’équipe avec Taha Jabbari chargé du son et de la lumière et Abdesslem Jmel qui assure costumes et maquillage. Le peu d’éléments dont nous disposons avant l’avant-première du spectacle permettent de dire que «Zaglama» est une tentative de retrouver une mémoire orale éparpillée, que cette œuvre s’articule sur une dizaine de chants qui devraient être interprétés par Cheb Bchir et aussi que le dispositif scénique devrait surprendre le public. Ainsi, la danse traditionnelle devrait renaître sur scène dans ce spectacle qui, selon Rochdi Belgasmi, «retrace l’histoire du hzem», ce foulard dont les danseurs vont ceindre leurs hanches. Le spectacle, toujours selon Belgasmi, fait aussi allusion à la danse classique, la valse, le flamenco et les claquettes. Le chorégraphe explique que «Zaglama» remontera aux sources des danses de plusieurs régions pour retrouver le sens de ce geste de nouer un hzem autour des hanches des hommes. Café chantant, rboukh et sadawi devraient donc être évoqués sur fond de retrouvailles avec les profils de Hamadi Laghbabi, Hédi Habouba et Ismaïl Hattab. «Zaglama» devrait aussi valoir pour son travail sur la lumière avec un éclairage qu’on dit non conventionnel et qui ne devrait s’appuyer sur aucun projecteur traditionnel. Enfin, les costumes devraient souligner l’aspect débridé du spectacle et les quelques bribes déjà révélées donnent un avant-goût de ce que sera «Zaglama». Connaissant Ben Abdallah, sa rigueur et ses nombreuses références, gageons que cette nouvelle œuvre sera une confluence surprenante entre le patrimoine tunisien et un alliage dans lequel se refléteront Brecht, Pina Bausch ou Ariane Mnouchkine. N’est-ce pas cela l’art contemporain? N’est-ce pas cela la modernité?
Zaglama» ou la mémoire des danseurs
Hatem BOURIAL
15-05-2015