Sfax. Dans la cour de Borj Kallel, une antique residence fortifiée enchevêtrée dans un dense trafic urbain, samedi 14 février 2015, Rochdi Belgasmi a dansé « Wa Idha Aassaytom, Une Méta-Danse». Le patio du Borj décoré de faïences anciennes et d’arcades de réminiscence ottomane, est parcouru de cordes à linge, évoquant les toits des maisons tunisiennes. Terrasses à ciel ouvert; espaces féminins, frontières entre l’infini et la rue et son univers masculin envahissant. و… « Ce sont des lieux suspendus, où tout est possible, comme le suggère en clin d’oeil le titre et si vous désobéissez…”), paroles du prophète Mohammed qui, privées de leur «Wa Idha Aassaytom» , suite “faites vous discrets!”, oscillent entre avertissement et encouragement. C’est sur le seuil d’une terrasse que Rochdi, danseur et chorégraphe tunisien, observait en cachette, dans son enfance, l’intimité secrète de sa mère, et c’est encore ici qu’aujourd’hui il choisit d’offrir un tribut – peut-être une réparation – au corps maternel, en le partageant avec le public. Le solo commence avec un monologue imaginaire de la mère de l’artiste: un texte lyrique et puissant de Khadjja Baccouche, interprété par la voix de Sabah Bouzouita, qui introduit les spectateurs dans l’intimité de cette femme, dans ses désirs les plus secrets. Le texte nous guide dans son univers “interdit”, scandant la succession des tableaux chorégraphiques bâtis autour d’un fardeau de tissus blancs, symbole du poids de la tradition, que l’artiste fait et défait, plie et déplie en créant de nouvelles scénographies (la terrasse, la rue, le Hammam..) au rythme nerveux d’une musique électronique et de percussions traditionnelles qui maintiennent le public en état d’alerte. Démystifier et dévoiler l’intimité de la figure ancestrale de la mère – et avec elle la tradition et le sexe – sont les thèmes porteurs de cette performance, qui débute par des évolutions lentes et silencieuses, explose progressivement dans une répétition obsessionnelle des gestes inspirés de la frustration des tâches domestiques quotidiennes, et se transforme finalement dans une baccanale, une sexualité fantasmée finalement libérée. Que ce soit un homme à s’aventurer sur ce terrain sensible – le corps, la féminité, la sexualité niée – n’est pas un acte innocent. Dans la périlleuse transition démocratique tunisienne, être un danseur de son temps, mettre en scène le corps sans le masquer derrière des exercices de style, constitue une prise de position risquée. D’où l’importance de souligner la volonté de l’artiste d’aller au delà de la danse, et d’instituer une méta-danse (ainsi que l’a définie l’esthète Adnen Jdey), et de la représenter sur des plateaux non conventionnels, en confrontation directe avec un public très hétérogène et parfois ouvertement hostile. Vitale, provocatrice et lyrique «Wa Idha Aassaytom» est la poursuite d’une ambitieuse recherche de l’artiste initiée en 2011 – après la révolution – vers la fondation d’une nouvelle danse contemporaine nationale, qui réhabilite la tradition populaire, la figure du danseur et la centralité du corps.
« Et si vous désobéissez / Wa Idha Aassaytom » ! Une Méta-Danse di Rochdi Belgasmi
Gaia Toschi (United Nations Development Programme - UNDP)
13-02-2015