Projet « Chghol » de Rochdi Belgasmi
La « sadayya », le corps et la danse
Dans son prochain opus, Rochdi Belgasmi articule son travail créatif autour d’un métier à tisser. À découvrir en mars prochain, entre approches esthétiques et corps débridés.
Le métier à tisser vertical que nous nommons « sadayya » peut faire l’objet de toute une poétique. Avec ses cordes tendues comme celles d’un piano et la posture de harpistes de celles qui le mettent en mouvement notre métier à tisser peut être le prétexte d’une rêverie. L’oeuvre qui se développe par registres successifs, chaque point et chaque nœud font de ce métier une toile vierge où viendront un fil après l’autres se déposer des imaginaires profondément enracinés.
Le « chghol », ce doux souci des créateurs
Ce métier à tisser peut-il être convoqué par un corps dansant, peut-il être le prétexte d’une chorégraphie? C’est à ces questions que tente de répondre Rochdi Belgasmi dans son nouvel opus en cours de création. Ce travail artistique qu’il développe avec le soutien de la Fondation Kamel Lazaar porte le titre évocateur de « Chghol ».
Polysémique, ce terme peut en effet revêtir plusieurs sens tout en fleurant bon la langue tunisienne. « Chghol » est surtout compris comme l’ouvrage qu’on remet sur le métier, à l’image de la préoccupation de tout artisan. Ainsi, par un glissement de sens, ce terme désigne aussi bien l’oeuvre d’un artiste que celle d’une artisane. Le terme est relatif à un danseur au travail et aussi à une tisserande, un forgeron ou un céramiste. D’emblée, en un mot, Rochdi Belgasmi nous installe dans son dispositif et pose les premiers enjeux de cette nouvelle création chorégraphique.
Car il s’agit bien de danse et de liberté dans ce spectacle qui sera présenté à la fin du mois de mars au terme d’une résidence artistique à la station « Bahlaq » à Bhar Lazreg. Seul en scène, Belgasmi alternera les séquences au rythme de la musique d’Oussama Saidi qui signe la partition de « Chghol ». De fait, il s’agira plutôt d’un duo car un métier à tisser devrait être le partenaire de l’artiste. De plus, cette chorégraphie aura une dimension et une profondeur supplémentaires grâce à la vidéo.
Un chorégraphe entouré de tisserandes
Pour cette nouvelle œuvre et plus précisément ce « chghol » en cours, Rochdi Belgasmi n’a rien laissé au hasard. Entouré de tisserandes, il s’est initié aux arcanes de leur « instrument ». Il revient d’ailleurs de la région du Kef où il a plongé avec délices dans les univers du tapis, du klim ou du mergoum. De même, en allant vers les artisanes de Bhar Lazreg, il continue à découvrir tout un imaginaire, des rituels et un folklore relatif aux tissages.
Comment Belgasmi va-t-il rendre ce qui au fond relève d’un patrimoine vivant ? C’est bien là que réside le défi de ce spectacle où un corps mouvant se confronte à une tradition immémoriale. En outre, dans « Chghol », un corps d’homme s’empare en la sublimant d’une activité foncièrement féminine. Ici, nous sommes à mille lieux du répertoire de la Troupe nationale des arts populaires et de plain-pied dans la modernité.
Un artiste qui ose et s’impose
Consacré en Tunisie et à l’étranger, Rochdi Belgasmi est un artiste qui ose. Nous l’avons vu dans certains de ses travaux antérieurs, notamment « Oueld Jellaba ». Qu’en sera-t-il dans son nouvel opus ? Pour le moment, les répétitions battent leur plein et la chorégraphie et son assise scénographique sont encore en cours de définition. Toutefois, il ne fait pas de doute que Belgasmi saura donner une envergure inédite et une esthétique propre à cette incontournable « sadayya ».
La résidence artistique de l’équipe de « Chgol » se prolongera durant deux mois.
Le projet « Chghol » sera développé et présenté durant cette période d’immersion sur une chorégraphie de Rochdi Belgasmi qui en est également l’interprète. « Chghol » comptera aussi sur le talent d’Oussama Saidi ( création musique), Béchir Zayane (images et vidéo), Raja Najjar (costumes et accessoires) et d’autres encore.
Rochdi Belgasmi est l’un des chefs de file de la danse contemporaine en Tunisie. Il a créé de nombreux spectacles dont Ouled Jellaba (2016), « Wa idha assaytom » (2015), « Zoufri » (2013) et « Transe, corps hanté » (2011).
Hatem BOURIAL