CHGHOL DE ROCHDI BEGASMI

CHGHOL DE ROCHDI BEGASMI

Le brouhaha dans la salle parvient au public, aligné, devant l’espace du B7L9… Petit à petit, il pénètre dans la salle pour retrouver le minsej de nos grand-mères posé sur scène… L’artisan.e, assis.e derrière, tisse solennellement.
En toile de fond la radio… D’une manière anachronique et délinéarisée, comme pour se rappeler de bribes de souvenirs lointains, on entend tantôt la voix de Bourguiba, tantôt les interventions de son premier ministre Mzali… Parfois de la musique.
Derrière les fils tendus de cet appareil imposant, Rochdi Belgasmi vaque à son activité… Tisser, tisser, tisser… Comme une prière… Dans un hommage à cette activité manuelle de nos ancêtres… D’un geste savant, ses doigts se faufilent entre les fils de laine… À côté, sont posées les pelotes…
On pense à ces femmes qu’on a longtemps dépossédé des textes pour leur tendre le textile… Celles qu’on a accusé de produire des nœuds, de manipuler discrètement le fil, de s’appliquer à la sorcellerie…
Voici donc la première porte d’entrée de la performance :
De blanc vêtu, Rochdi Belgasmi dénoue dans « CHGHOL » le matriarcat… En parlant du rapport de la mère à sa fille, à son fils… De son statut flirtant avec le sacré… de l’abus qu’elle commet parfois sur ses enfants…
Mais il y a dans « CHGHOL » anguille sous roche… Car derrière le tissage et le dé-tissage, on entend la voix redondante de la sorcière…  » je suis un mur et le fils d’autrui est un fil »…
On se trouve au beau milieu de la cérémonie du Tasfih, ce rite ancestral qu’on applique aux filles et qu’on défait la veille de son mariage pour qu’elle reste impénétrable…
Vaginisme, sorcellerie, transmission de valeurs virilistes… Un enfant court dans la pièce, reçoit des ordres de celle, cachée derrière son minsej… Lui, accusé d’avoir grandi sur les jupons des femmes… Sa sœur, jeune mariée, décapitée à son tour par ce tissu qu’elle porte de la tête au pied, se met à danser….
Elle qui a subi le Tasfih enfant, et passe de la prison de sa mère à la prison de son époux… Couverte tantôt comme un fantôme, tantôt comme une défunte, c’est une fille-mariée dont on hôte la volonté et dont ne voit qu’un corps…
Voici donc l’œuvre d’une mère tunisienne… Elle produirait des garçons dévirilisés et des filles décapitées. C’est ce que suggère « Chghol » de Rochdi Belgasmi… Dans une fresque complexe, sombre, rythmée par des pas de danse, une installation d’artiste et un habillage sonore bien dense.
On démystifie la figure maternelle, avec l’insolence qu’on connaît à l’artiste, avec ses recherches pointues dans l’histoire, l’anthropologie et le patrimoine immatériel… Rochdi Belgasmi nous offre sa version des faits.
CHGHOL, spectacle de رشدي بلقاسمي au B7L9, demain 19h30.

Sarah Ben Ali
26-03-2022